La nature a horreur du vide, nous aussi…
Sorti en juin 2020, presque en même temps que le formidable Carnet d’un voyageur immobile dans un petit jardin de Fred Bernard chroniqué dans cette rubrique, L’Oasis, petite genèse d’un jardin biodivers est également le récit de la vie d’un jardin. Il est tout aussi indispensable que le Carnet…, dans un style cependant distinct mais tout aussi personnel. Les deux ouvrages se complètent d’ailleurs efficacement, quoique l’approche soit ici un peu différente. Fred Bernard nous proposait un journal et l’on suivait le déroulement des saisons, en se délectant des descriptions de plantes rares ainsi que d’une faune et d’une flore familières, oiseaux et champignons en tête.
Simon Hureau, lui, avec une prédilection pour les insectes, nous raconte comment, une fois installé à la campagne, il a choisi une maison avec un jardin très peu esthétique et quasiment vide, d’où les oiseaux et les insectes étaient pour ainsi dire absents. Or, avec très peu de moyens, c’est-à-dire un budget ridiculement bas, beaucoup de récupération dans les déchetteries, chez les voisins ou à l’aide de boutures prélevées ici ou là, le jardin s’est développé et a été rapidement colonisé non seulement par les plantes, mais aussi par une faune surabondante. C’est cette aventure qui est ici racontée par le menu : le résultat est passionnant de bout en bout et on tient en main le parfait manuel de la réalisation d’un jardin favorisant efficacement et rapidement une biodiversité d’une richesse inouïe.
Là encore, comme pour le Carnet d’un voyageur…, on a envie de distribuer ce bel ouvrage dans les mairies, les écoles et dans les maisons individuelles, en particulier chez ceux qui sont phobiques du moindre insecte ou que les « mauvaises herbes » (car ils n’arriveront jamais à prononcer les mots « herbes folles ») rendent fous et prêts à n’importe quoi, à commencer par utiliser les désherbants chimiques les plus nocifs, afin d’éradiquer ces éléments pourtant sains qu’on ne saurait voir…
Le roman graphique débute par l’installation de la famille de l’artiste dans une nouvelle maison, mais il faut s’attarder sur la toute première page, qui raconte la motivation de l’auteur. En effet, après avoir entendu à la radio la nouvelle de la démission de Nicolas Hulot, avec en toile de fond le spectre de la biodiversité en berne, celui de la disparition de la faune sauvage, du déclin des insectes et de la baisse des populations d’oiseaux, il se dit que, dans sa propriété, la biodiversité se porte très bien, car il suffit de vivre en symbiose avec la nature. Que faire à son petit niveau ?, s’interroge-t-il. Raconter son expérience dans un livre, pardi ! Il nous offre donc son expérience en exemple.
Dans la centaine de pages qui suit, on se plaît avec l’auteur à défricher le jardin stérile ou presque, enrichir la terre, récupérer les plantes et s’apercevoir que les expérimentations sont presque systématiquement couronnées de succès… On apprend et on gagne en expérience en même temps que le jardinier en herbe qui a la main verte, puisqu’il aime la nature et cherche à en recréer les mécanismes dans son petit domaine. Par ailleurs, il s’intéresse à la vie des organismes en sa présence, y compris les plus petits, ce qui est bien sûr fondamental dans la compréhension des stratégies à appliquer. La démarche est modeste en apparence, mais on sent une sagesse composée de bienveillance, d’émerveillement devant le vivant, d’amour des animaux et en particulier des insectes, dont notre artiste est un fin connaisseur.
Les dessins sont précis et évoquent notamment l’art de Posy Simmonds ou encore celui du duo François Rivière et Floc’h, notamment pour le travail de ce dernier avec Alain Resnais, mais Simon Hureau a un style bien à lui. Les doubles pages s’enchaînent comme autant de planches d’encyclopédie, si on les observe bien, tout en narrant une histoire en filigrane qu’on suit avec d’autant plus d’intérêt qu’elle est bourrée d’humour. Parmi les saynètes les plus savoureuses, ma préférence va au parpaing honni transformé en nichoir (pages 78-79) ou encore à la difficile gestion de l’instinct de tueur en série du chat (avec des avis de recherche digne de Lucky Lucke, page 75).
Une fois le livre achevé, quel plaisir que de le feuilleter encore et encore, en admirant l’art consommé d’entrelacer images et texte, avec un travail sur le séquençage et le fini esthétique raffiné. Papillons, hannetons, branchages ou lilas sont merveilleusement restitués, avec une sorte de poésie didactique réjouissante. En observant en détail le plan du jardin au bout de dix ans, page 114, on n’a qu’une envie, en prendre de la graine, et un souhait, en voir jaillir d’autres comme celui-ci de toutes parts !
Sur le roman graphique
* La fiche de présentation sur le site de l’éditeur.
* Dargaud, À propos du livre.
* France Inter, Comment dessiner l’Oasis ? La leçon de dessin confinée.
* 18h39, Il a transformé son jardin en oasis de biodiversité !, 9′ pendant lesquelles on découvre le jardin de Simon Hureau.
* France 3 Centre-Val de Loire, Rencontre avec Simon Hureau, 3′.
* Dargaud, Le coup de cœur des libraires, à Tours, avec Jérémy, pour l’Oasis.
* France Culture, L’Épopée jardinière de Simon Hureau, podcast.
* France Inter, Alain Baraton à propos de l’Oasis dans “La main verte”.
* Rustica, entretien avec l’auteur à propos du livre.
Sur Simon Hureau
* La page Instagram de Simon Hureau.
* La page Wikipédia de Simon Hureau.
Quelques liens
* Le réseau jardin-hortus, qui prône la biodiversité au jardin selon le concept des trois zones élaboré par Markus Gastl, avec plantes indigènes et gîte et couvert pour les insectes et les animaux.
* Rustica, 10 idées pour la biodiversité au jardin, par Hubert Fontaine.
* Hymenoptera, Jardiner avec les insectes et favoriser la biodiversité, coaching, visites guidées à Obersteinbach et conférences.
* PermaCulturelle, Librairie spécialisée dans les ouvrages sur la permaculture et l’autonomie, avec conseils de lecture.
Auteur : Simon Hureau
Préface : Gilles Clément
Pages : 116
Genre : Journal, jardins
Sortie : 12 juin 2020
Éditeur : Dargaud
ISBN : 9782205085808
Note : ****
Coup de
Simon Hureau s’est prêté au jeu du Questionnaire de Proust BD et a répondu aux 30 questions.
SIMON HUREAU
« Né en 1977, Simon Hureau, après un baccalauréat scientifique, a fait l’école des Beaux-Arts décoratifs de Strasbourg. En 2001, Il a reçu le prix du 2e jeune talent au Festival d’Angoulême, et remporté en 2012 le Fauve d’or Polar SNCF pour son album Intrus à l’étrange (La Boîte à Bulles). Il est l’auteur d’une douzaine de bandes dessinées et de carnets de voyage ».
Rebecca Dautremer : le Questionnaire de Proust
Voici le questionnaire et les instructions proposés à Rebecca Dautremer, l’une des plus grandes illustratrices de l’école française, auteur, entre autres, de livres pour enfants avec un personnage mieux qu’attachant, Jacominus Gainsborough. Elle a également magistralement illustré le classique Des souris et des hommes. L’artiste a eu la gentillesse de répondre au questionnaire de Proust en pleine séance de dédicaces, réfléchissant aux questions tout en continuant à dessiner, à l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage Une chose formidable.
Philippe Richelle : le Questionnaire de Proust
Voici le questionnaire et les instructions proposés à Philippe Richelle, auteur, notamment, du récent Le Grand Soir ou des différentes séries consacrées aux rouages du pouvoir telles Les Coulisses du pouvoir, Amours fragiles, Les Mystères de la République ou Secrets bancaires.
Frédéric Pontarolo : le Questionnaire de Proust
Voici le questionnaire et les instructions proposés à Frédéric Pontarolo, auteur, récemment, d’une autobiographie intitulée Deux Roméo sous un arbre après de nombreux albums, dont des adaptations de L’Homme invisible ou de 1984