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LE COIN DE LA CRITIQUE BD, ROMANS GRAPHIQUES, MANGAS, ETC.
Comme par hasard (Bonin)

Coup de chapeau au destin

Quel plaisir de retrouver l’univers du bédéiste strasbourgeois d’adoption Cyril Bonin, parfaitement à l’heure pour la sortie de son nouvel opus en mars de l’année civile ! Intitulé Comme par hasard, le roman qui vient de paraître s’inscrit dans la continuité de l’œuvre et son univers graphique prend le lecteur par la main très en douceur, mais fermement, pour ne plus le lâcher. L’intrigue est habilement ficelée, quoique tout en subtilité et délicatesse, ce qui est bien le moins de ce qu’on l’on peut attendre de l’adaptateur en BD du beau roman puis film de David Foenkinos, La Délicatesse. Après Stella, où l’auteur nous emmenait dans les États-Unis de nos jours, mais avec un personnage tout droit sorti des années 1950, c’est au cœur de la Belle Époque que nous plongeons cette fois.

L’histoire débute à Paris, en 1909. Victor, un jeune rond-de-cuir qui ne s’intéresse qu’aux chiffres trouve un jour, par hasard, un billet pour une production des Ballets russes, Cléopâtre, donnée au Châtelet. Il décide de s’y rendre mais ce n’est ni le ballet chorégraphié par Mikhail Fokine ni les costumes de Léon Bakst qui le fascinent le plus : c’est Tania qui le bouleverse. Il reverra la danseuse au casino de Baden-Baden, toujours par hasard. La belle essaie de gagner à la roulette une somme qui pourrait lui permettre d’éviter un mariage arrangé…

Les péripéties de l’intrigue nous permettront de croiser des personnages de fiction bien brossés mais aussi Serge de Diaghilev ou plus fugacement Nijinski, de nous plonger dans l’ambiance des Ballets russes mais aussi de celle, tout en dépaysement et en nostalgie, de la ville thermale de Baden-Baden où rôdent les mânes des célébrités qui ont fréquenté son casino ou oublié le temps qui passe au Friedrichsbad, l’établissement thermal au charme intemporel. On vit également l’inondation de Paris en 1910. Tous ces éléments sont décrits avec précision et ont fait l’objet, on le saisit immédiatement, de recherches très précises et fouillées. Cela donne notamment de la vie et de la chair au récit mais aussi de l’épaisseur aux personnages. Quant au propos, il permet de dégager des questionnements existentiels, à commencer par la notion de destin et de ce fameux hasard qu’un coup de dés jamais n’abolira, comme l’avait versifié Mallarmé…

Tout au long des péripéties, des cascades de références à la fois littéraires et cinématographiques s’imposent à nous, comme à chaque fois chez l’auteur cinéphile. En premier lieu, on pense à Hitchcock et à Vertigo, pour la gamme ocre/orangée mais surtout pour les verts omniprésents. Cette palette de couleurs est un peu la marque de fabrique de Cyril Bonin. Et pour cette nouvelle aventure, les couleurs ont tout particulièrement leur raison d’être. Du vert absinthe des breuvages consommés dans les cafés parisiens aux verts émeraude des joyaux portés par les aristocrates en passant par le vert céladon exotique ou le vert-de-gris légèrement toxique tout comme celui du tapis vert sans oublier le vert d’eau et celui de la jalousie. On l’aura compris, c’est tout un nuancier qui s’offre à nous et nous éclaire ou nous titille. Les amateurs de cinéma ne seront pas en reste : on pense à Jeanne Moreau dans La Baie des Anges de Jacques Demy pour les casinos, à Delphine Seyrig dans L’Année dernière à Marienbad pour le jeu et les villes d’eaux, à Simone Signoret dans Casque d’or pour les amours contrariées et les apaches, à Christopher Walken dans Voyage au bout de l’enfer pour la roulette russe et on en passe… À propos de Russes, on pense également à la Dame de pique de Pouchkine, car il y a comme souvent chez Cyril Bonin une pointe de fantastique dans son histoire. Par ailleurs, la ville de Baden-Baden est intimement liée à la communauté russe. Dostoïevski, notamment, a hanté ses rues et surtout les salles du casino. Et comme dans Le Joueur, le récit est prétexte à explorer les tréfonds de l’âme humaine.

On se délecte également de l’élégance des personnages. Cyril Bonin aime dessiner les chapeaux et il a pu, entre les costumes des ballerines et la mode des années 1900, s’en donner à cœur joie, dans un défilé de mode où les aigrettes, bibis ou autres capelines rivalisent d’originalité, pour notre plus grand plaisir et dans un chic on ne peut plus parisien. Dernier point, mais il ravira les amateurs de dessin animalier : un superbe chat dandy coiffé d’un haut-de-forme qui pourrait figurer dans le Maître et Marguerite de Boulgakov (mais ici tout à fait filiforme) fait son apparition et ce n’est pas le personnage le moins intriguant. Chapeaux bas, l’artiste !

POUR EN SAVOIR PLUS :

Sur le roman graphique
* La
fiche de présentation sur le site de l’éditeur.
* Planète BD, À propos du livre.

Sur Cyril Bonin
* La page Instagram de Cyril Bonin.
* Le blog de Cyril Bonin.
* La page Facebook de Cyril Bonin.
* La page Wikipédia de Cyril Bonin.
* Planète BD, une interview de Cyril Bonin en 2017.

Quelques liens
Diaghilev et les Ballets russes
* National Gallery of Art, Diaghilev and the Ballets Russes (sous-titres français dans les paramètres).
* Teatro dell’Opera di Roma, Cléopâtre de Mikhail Fokine.
* Rimsky-Korsakov, Sheherazade, Ballets russes avec costumes reconstitués.
* France Culture, Serge de Diaghilev (1872-1929) le temps des Ballets russes, podcasts.
* Artoris Magazine, Au cœur des Ballets russes de Serge de Diaghilev.
* Wikipedia, Serge de Diaghilev.
* Ours Magazine, Diaghilev et les Ballets russes.
Baden-Baden
*
Wikipedia, Le Friedrichsbad de Baden-Baden.
*
Le site du Friedrichsbad.
* Le casino de Baden-Baden.
* Revue Méthode, Alexandre Wattin, Baden-Baden ou l’histoire d’une petite ville russe en Allemagne.
.
L’inondation de Paris en 1910
*
France info, Article sur l’inondation et images d’époque.
*
Archives de Paris, Dossiers pour les profs sur la crue, pdf.
Fascination
* Dante Pilade Marchetti et Maurice de Féraudy, Fascination, 1904.

Auteur : Cyril Bonin
Pages : 104
Genre : Fantastique
Sortie : 3 mars 2021
Éditeur : Vents d’Ouest (Glénat)
ISBN : 9782749309378
Note : ****

Cyril Bonin s’est prêté au jeu du Questionnaire de Proust BD et a répondu aux 30 questions.

Précisions de Cyril Bonin
* Pour ses recherches, l’auteur a également utilisé la page Wikipédia consacrée à Léon Bakst où l’on trouve plusieurs recherches de costumes. Le travail du peintre, décorateur et costumier, intimement lié aux Ballets Russes, a été source d’inspiration et de documentation.
* « Pour ce qui est de la chronique en elle-même, les références littéraires sont bien vues (Le Joueur, La Dame de pique, Le Maître et Marguerite) auxquels on pourrait rajouter 24 heures de la vie d’une femme et Mémoires d’un tricheur ».
* «
Pour les références de films, j’avoue n’avoir jamais vu La Baie des anges ni L’Année dernière à Marienbad (il va falloir que je me rattrape) mais c’est intéressant d’avoir ainsi votre propre lecture de l’album… Il y a tout de même un film qui m’a légèrement inspiré pour son ambiance : c’est La Beauté du diable de René Clair… ».

L’AUTEUR :

CYRIL BONIN

« Né le 16 mai 1969 en Saône-et-Loire, Cyril Bonin suit les cours des Beaux-Arts de Mâcon, puis étudie les Arts décoratifs à Strasbourg avant de finaliser par une année de DESS en images de synthèse. Il travaille pendant deux ans dans une petite maison de production vidéo, tout en réalisant des illustrations. Son entrée en bandes dessinées s’effectue chez Casterman ou, de 1999 à 2004, il illustre les six volumes de Fog sur scénarios de Seiter (Le Tumulus, Le Destin de Jane, Le Mangeur d’âmes, Les Sables du temps, La Mémoire volée, Remember). On y découvre le Londres de 1874 et une série de crimes effroyables qui annoncent le futur Jack the Ripper. Son dessin élégant et précis s’applique à merveille au récit d’ouverture de la série Quintett, scénarisée par Frank Giroud : L’Histoire de Dora Mars, dans la collection « Empreinte(s) » des éditions Dupuis. L’ensemble des ouvrages, illustrés par six dessinateurs différents, reconstitue une courte période vécue par une unité française envoyée dans les Balkans en 1917 et où chaque tome s’axe sur un personnage différent, placé au coeur de ce fragment d’épopée vécue au quotidien ».

Source : Dargaud.
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