Fraude qui peut ! Bloom face aux industriels de la pêche électrique

Ave César : les océans qui vont mourir te chaluent…

Après son très émouvant roman graphique Chronique d’un kidnapping, Sébastien Girard change de thème, mais pas forcément de registre : à la suite du récit d’une erreur judiciaire et d’un long combat d’une famille pour récupérer son enfant, c’est maintenant la lutte acharnée d’une petite ONG contre un puissant lobby industriel que l’auteur raconte en images.

On lit avec grand plaisir la narration de la campagne menée par Bloom, une ONG dédiée à la lutte contre la destruction de l’océan et des pêcheurs, contre les industriels de la pêche électrique, essentiellement néerlandais, dont le lobbyisme insistant auprès de l’Union européenne a retardé et failli faire capoter l’interdiction de ce qui avait été requalifié de pêche au chalut à impulsion, sans doute plus audible et moins effrayant pour le grand public. Dans ce combat de David contre Goliath, Sébastien Girard retrace les péripéties incroyables de l’association Bloom contre des lobbyistes prêts à tout, c’est-à-dire à n’importe quels mensonges et pire, au contournement pur et simple des lois, pour continuer à pratiquer la pêche électrique, appuyée par les institutions, grâce à un système de persuasion impressionnant d’efficacité et de mauvaise foi. Absolument édifiant et exemplaire, cet ouvrage particulièrement didactique et pédagogique devrait servir de support d’études pour tous publics. C’est d’ailleurs l’une de ses principales qualités : le roman graphique s’adresse aux plus jeunes comme aux adultes.

Sébastien Girard, titulaire d’un master 2 Écologie biodiversité et Évolution, voulait, après son premier roman graphique, trouver un nouveau sujet concernant sa spécialité, à savoir l’écologie. Ses recherches le conduisent vers l’un des combats menés par Bloom, qu’il contacte. Les responsables de cette association l’orientent vers la pêche électrique. Et plutôt que de se focaliser sur le lobbying pour faire interdire ce type de pêche, c’est au respect de la loi qui en suit l’interdiction par l’Union européenne qu’est consacré l’exposé.

Comme dans son livre précédent, Sébastien Girard adopte un style inspiré à la fois de Riad Sattouf pour le graphisme et de Scott McCloud pour l’efficacité du contenu des vignettes et leur contenu didactique. Minimaliste mais efficace, son dessin fait constamment mouche. De plus, il possède une identité propre et instantanément reconnaissable. Bien équilibrées, les pages sont composées comme certains manuels ou plaquettes pédagogiques. Le choix du bleu pour caractériser les propos de l’association Bloom, vouée à la défense des océans, par opposition au jaune orangé relatif aux lobbyistes néerlandais, fait mouche. L’utilisation de la troisième couleur primaire n’en est que plus efficace, notamment lorsqu’on apprend, par exemple, p. 11, que « des études montrent que 39 % à 70 % des gros cabillauds ont la colonne vertébrale fracturée et une hémorragie interne suite au choc électrique ».

On suit les incroyables péripéties de cette aventure d’autant plus volontiers qu’on en connaît l’issue heureuse. Mais de nouveaux stratagèmes sont inventés sans cesse et la vigilance reste de mise, puisque tant d’autres combats restent à mener. L’auteur nous entraîne à sa suite et nous donne l’impression de bien comprendre les enjeux et le déroulé de ce bras de fer. L’humour qu’il manie avec brio nous rend la lecture encore plus agréable, pour ne pas dire passionnante. Des fulgurances de Goldorak aux saillies des Tontons flingueurs en passant par une belle utilisation de l’architecture des lieux abordés, les références abondent et s’adressent à un large public, le rendant complice des développements de l’intrigue, clairement et rondement menée.

Par ailleurs, il faut saluer l’éditeur Delachaux et Niestlé, choix idéal pour une telle publication, eu égard à sa démarche écoresponsable, le livre bénéficiant du label Yliga, avec une charte stipulant la volonté de respecter l’environnement (format de l’ouvrage conçu pour générer le moins de gâche possible, papier aux normes environnementales avec moins de produits chimiques pour une impression en France, etc.). De plus, l’auteur a choisi de reverser tous ses droits d’auteur à l’association Bloom. Voici qui impose le respect.